Voyage à Naples - jour 1
«Sopratutto, caffè !».
Massif du Taburno, entre Montesarchio et Bone
Gianni tenait à ce que je rencontre Pasquale Clemente, vigneron et propriétaire de la Masseria Frattasi, à Montesarchio, à une petite heure de Naples, à l’intérieur des terres, en allant vers Benevento. Gianni connaissait Pasquale, qu’il a rencontré il y a quelques mois. Un personnage ! avait-il promis. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on n’a pas été déçu! Une belle âme, comme on dit aussi. Un homme touchant, très cultivé, grand ambassadeur de Naples, sa ville. Avocat de formation, Pasquale dirige également Il Roma, un grand quotidien napolitain, tout en assurant la conduite du vignoble familial. La Cucina da Gianni (Mai 2022)
On est arrivé la veille au domaine. Pasquale nous a rejoints le lendemain, tôt. «Sopratutto, caffè !», sont ces premiers mots en italien, ou plutôt en napolitain. A peine était-on assis dans la voiture qu’il m’expliquait pourquoi et comment les Napolitains avaient appris au reste de l'Italie comment faire un caffè! Il me parlait en anglais, enfin un mélange d’anglais à couper au couteau et en napolitain. Et comme souvent dans ce genre de rencontres, avec la gestuelle assez expressive du Napolitain, j'ai toujours tout compris.
J'ai vite compris qu'il ne fallait pas trop mettre en doute ce qu'il avançait. Je n'aurais jamais dû dire que je m'étais fort intéressé au café il y a quelques années. J'avais eu à l’époque l'occasion de visiter des ateliers de torréfaction à Trieste, la ville par où est arrivé le café en Italie. Du moins c’est ce que je pensais. Pasquale a arrêté net la voiture au beau milieu de la route, puis il s'est tourné vers moi, assis à l'arrière. «Trieste?..., a-t-il interrogé.Trieste?!», répétant le nom de la ville, regardant alors Gianni, puis lui lançant un regard que je traduirais par: «Mais d'où il sort lui ?!»
Ensuite il a redémarré, parlant seul. Trois minutes plus tard, on s'est garés devant une station-service GOIL. On était au beau milieu de nulle part. À l'arrière de la station, il y avait un bar. Il fallait le savoir. On y est entrés. Intérieur impeccable, inattendu. Pasquale a commandé trois caffè, puis nous a présenté Pasqualino, le barista comme «le meilleur barista d'Italie...»
Pasquale : « Lorsque Naples était sous l'autorité de Ferdinand Ier, roi des Deux-Siciles, au XVIIIe siècle, il y avait déjà des dizaines de petits torréfacteurs dans les quartieri spagnoli, les “quartiers espagnols”, au centre de Naples, au pied du Castel Sant'Elmo. Ce nom est lié aux troupes espagnoles qui y logeaient lorsque Naples était sous tutelle espagnole un siècle plus tôt. Il y avait des dizaines de torréfacteurs. On dirait aujourd’hui des torréfacteurs artisanaux. C’était juste magnifique ! Et toi, René, là, tu me parles de Trieste... Mais laisse-moi t’expliquer... La tradition du café est née à Naples, pas à Trieste, à NAPLES !!!, lorsque l'épouse de Ferdinand, l'autrichienne Maria Carolina de Habsbourg, s'y est installée. Elle est à l'origine de notre tradition. Alors oui, pour venir, elle est peut-être passée par Trieste... Mais le caffè, c'est à Naples qu'il a été mis au point. À Naples, dans les quartieri spagnoli, dans le ventre de la ville ! A côté du marché de la Pignasecca, là où l'on trouve toujours ce qu'il y a de meilleur à manger. Naples, à l’époque, était riche et prospère. Il y avait des dizaines de petits torréfacteurs, je le répète ! Puis des cafetiers ambulants sont apparus. Ces gens ont commencé à proposer le caffè aux quatre coins de la ville dès le matin. C’est comme cela que ça a commencé ! A Naples, tu apprends à faire le caffè avant d'apprendre à lire! Alors tu imagines, un barista napolitain, il a plus de trois cents ans de savoir-faire derrière lui !»
Et là, nos cafés sont servis. Pasquale nous regarde déguster, attend notre réaction. Gianni goûte, me regarde, le regard me faisant comprendre que j'ai intérêt à apprécier! Mais de fait, le caffè est excellent. Pareil pour la sfogliatta qui l'accompagne.
«Notre café n’est pas excellent : c’est le meilleur au monde! Au nord de Naples, dès que tu vas vers le nord, on ne sait pas faire un café! Ne demande pas à un Romain de te faire un caffè. Il ne sait pas! Il pense qu'il sait, mais il ne sait pas! Quand j'y vais, j'en suis malade ! On ne sait pas te faire un caffè au nord de Naples ! Je ne sais pas pourquoi?! À Rome, c'est compliqué ! Très compliqué ! »
(La suite / domani et dans le livre : La Cucina da Gianni (en vente sur le site)