Senzanome récompensé
50 Top Italy présentait récemment la liste des meilleures tables italiennes hors d’Italie. Le senzanome de Giovanni Bruno y sortait au 13e rang, une position remarquable. La maison occupe le 4e rang en Europe. Ce n’est pas la première fois que le travail de cet autodidacte d’origine sicilienne, aussi discret qu’inventif est salué. On s’en réjouit d’autant que Giovanni et sa sœur Nadia occupent une place importante dans l’ouvrage que nous préparons sur l’histoire de la gastronomie italienne. Petit extrait du l’ouvrage en cours d’écriture.
« J’ai repris Il Carreto, le restaurant de mes parents en 1977 avec mon frère Nicola. Mais sœur Nadia était également régulièrement avec nous. Au début, on y faisait cette cuisine hybride, belgo-italienne, que mes parents avaient été un peu forcés de faire. On n’avait pas le choix. Mes parents avaient bien essayé de proposer une cuisine italienne authentique quand ils avaient ouvert, mais à l’époque, au début des années 70, personne n’en voulait… Un dimanche soir, j’ai entendu que deux clients attablés étaient des chefs français réputés. Ces chefs sont revenus le dimanche suivant. Puis, de nouveau, quelques semaines plus tard, un dimanche… Ils se sont présentés, on a échangé quelques mots. Par correction, je leur ai renvoyé la balle et j’ai été diner chez eux. Et là, moi, le jeune autodidacte, j’ai pris une leçon. J’ai découvert un monde que je ne connaissais pas : la brigade, la conduite en cuisine, le dressage des tables, le service… J’étais impressionné ! Le dimanche suivant, ces cuisiniers sont de nouveau revenus au Carreto. Je ne comprenais pas bien pourquoi. Après le service, on a discuté, et ils m’ont encouragé. « Tu te débrouilles bien, Giovanni... Pourquoi ne fais-tu pas la vraie cuisine italienne ? » Ils me parlent d’un plat de viande crue servie avec de l’huile d’olive. Je n’ai pas compris de quoi ils me parlaient. Je ne connaissais pas. Á l’époque, on n’a pas Internet, il n’y a pas d’émissions sur les chefs, la gastronomie, rien… J’en ai parlé autour de moi, personne ne savait me répondre. Je me suis rendu dans une librairie. Il n’y avait pas grand chose, mais j’ai découvert que ces chefs me parlaient du carpaccio, un plat inventé en 1950 au Harry’s Bar de Venise… J’ai essayé. Mais ce n’était pas évident. Rien que de trouver une huile d’olive correcte, à l’époque, c’était toute une histoire.… Mais je leur ai fait un carpaccio le dimanche suivant qu’ils ont apprécié. Ils m’ont alors lancé sur une pâte à l’encre de seiche. Ça, ma famille, d’origine sicilienne, connaissait... Pasta co niuri li siccia… Pâtes à l’encre et chapelure. Mes parents auraient mis ce plat à la carte, personne ne l’aurait voulu à l’époque ! Je leur ai fait. Puis j’ai fait un bar au gros sel. C’est comme cela que, tout doucement, que je me suis mis à proposer un tableau avec quelques plats italiens plus authentiques. Ces deux chefs français m’ont poussé… C’est ainsi que le déclic est venu.
On a revendu en 1984 pour rejoindre mes parents au Pirandello, un restaurant qu’ils avaient ouvert à Schaerbeek. C’était un projet ambitieux, une belle maison, mais on était toujours sur cette cuisine hybride, belgo-italienne. Une cuisine de qualité, mais sans grande authenticité. On avait un tableau différent pour la clientèle italienne qui a commencé à venir. On lui proposait une cuisine italienne authentique, mais la clientèle belge n’en voulait pas. Toutefois les choses commençaient à changer. C’est là que mon frère est venu avec l’idée de proposer la pâte dans la meule de parmesan, d’amener un côté spectaculaire. Il avait vu cela à Milan. Et ça a cartonné ! Une pasta al doppio burro, parmigiano reggiano e tartufo nero, une pâte double beurre, parmesan…