La Cucina da Gianni (Extrait 1)
En 1963, Giuseppe a 13 ans quand un ami de ses parents lui propose de travailler au Dottore pendant les grandes vacances. Cela tombe bien, il en a marre de l'école. Le Dottore est l’un des premiers restaurants italiens de la Cité ardente, place du XX août. Giuseppe, ou plutôt Joseph, comme il veut être désormais être appelé, y commence comme commis. Le travail lui plaît. Il arrête l’école et passe les années suivantes par à peu près tous les restaurants italiens qui ouvrent dans le centre de Liège. On le retrouve au ristorante Alla Grappa, l’enseigne de Monsieur Dario, dans le quartier Souverain-Pont, puis Alla Strada, au centre-ville. Alla Strada est un restaurant plus chic. C'est là qu'il rencontre Francesco Barracato, alias Frédéric François, originaire comme lui de Lercara Friddi. Le jeune chanteur commence alors à se faire un nom. Entre Francesco et la famille Caruso se crée une amitié toujours d'actualité. Photo de famille, dans l'arrière-cour, Sclessin
En 1973, Joseph ouvre sa propre affaire : la friterie Caruso, rue des Bayards, dans le quartier nord de la Cité ardente. La famille y emménage dans le bâtiment. Au menu de la friterie : un mélange de cuisine familiale italienne et belge. Joseph est aux fourneaux. Il cuisine des plats qu’il a vu faire par sa mère et les cuisiniers qu’il a vu travailler. Josée s’occupe de leur fils aîné qui en fait voir jamais pareil à sa mère. Il a pas deux ans qu'il veut déjà cuisiner! Par contre, la friterie Caruso cartonne. La première génération d’Italiens n’allait pas au restaurant. Mais au début des années 1970, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération d'Italiens et Italiennes, nés à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Avec eux, les habitudes changent. Ces jeunes italiens commencent à sortir et à s'intéresser aux restaurants italiens. Ces jeunes italiens vont demander à Joseph Caruso s’il ne peut pas venir cuisiner chez eux pour un événement privé : une communion, un baptême, un mariage... Sans trop le vouloir, la friterie va ainsi intégrer une activité traiteur. Cela fait de Joseph Caruso l’un des premiers, peut-être le premier traiteur italien de Liège.
« Le traiteur, honnêtement, je n’y avais pas pensé ! La première fois, j’ai accepté pour rendre service... La deuxième fois, pareil ! Puis il y a eu une troisième demande, puis une quatrième… On s’est alors organisés. Le menu d’un mariage ou d’une communion était simple. Tu avais l’apéritif, puis l’antipasto, avec le fondu au parmesan ou le melon et jambon, puis le bouillon de tortellini ou la pâte au four, la lasagne ou le cannelloni. Ensuite, le rôti de veau ou la volaille rôtie. On terminait le repas avec la pièce montée en dessert et le café. La totale pour 350 FB ! La famille Caruso a marié tous les Italiens du Thier-à-Liège ! Ca, tu peux l'écrire! La moitié! Trente ans plus tard, des Italiens m'arrêtent en rue pour me rappeler que je les avais mariés! J’avais investi dans une rôtisseuse pour préparer mes poulets. J’ai rôti des milliers de poulets ! J’en rôtissais toute la nuit, du vendredi au samedi. Vers 4 ou 5 heures, des jeunes passaient en rentrant de sortie. La friterie était fermée mais ils frappaient au carreau. Ils avaient faim ! Tu crois que je pouvais dire : « Non, j’ai un mariage demain matin ! » J'allais pas les laisser crever de faim! Impossible, tu es à Liège ! À Liège, tu dis : "oui" ! Et ces gamins m’achetaient un ou deux poulets… Résultat : à 8 heures, je devais courir rue Saint-Léonard acheter vingt ou trente poulets, et les rôtir en vitesse. Ces mariages, c’était quelque chose... Tu pouvais avoir trois cents ou quatre cents personnes ! Toutes les familles étaient réunies : les frères, les sœurs, les cousins, les cousins des cousins, les voisins, les amis qui débarquaient d’Italie... »