Du Safran et des Roses
Il y a quelques semaines, nous avons publié le livre Du Safran et des Roses, premier ouvrage de Sara Alinaghian, jeune auteure, bloggeuse food et lifestyle. On a avait rencontré Sara en début d’année. Intéressé par son projet et son énergie, Sh-Op Editions est fier de la soutenir. Cet ouvrage est son premier ; d’autres suivront. Voici une interview la présentant. On peut se procurer le livre sur le site de Sh-OP Editions. Suivez Sara sur son compte instagram, son site et son blog (Like it to taste/https://www.likeittotaste.com). Dans les prochains jours, nous proposerons certaines recettes du livre.
Dans quelle famille as-tu grandi ? Mes parents se sont mariés au début des années 1980, juste après la Révolution. Ils pensaient étudier, mais les universités, à l’époque, étaient fermées. Mon père est entré chez Iran Air, où il est devenu pilote. Ma mère a suivi une formation en littérature. Elle est autrice de livres pour enfants. Nous avons toujours été proches, ma sœur Maryam, ma mère et moi. Elle testait notamment ses écrits sur nous, ses filles. Elle aimait voir nos réactions.
C’est de ta mère que vient l’intérêt pour la cuisine ? D’elle, oui, mais aussi de ma grand-mère ! Petite, je me souviens des parfums de cuisine dans sa maison, lorsque je m’éveillais chez elle. Ma grand-mère commençait à cuisiner avant l’aube. C’était une cuisine familiale, traditionnelle. Ma mère appartient à la génération suivante. Elle a intégré à la tradition l’attention au bien-être. Sa cuisine est saine, plus équilibrée. Ma mère s’est également intéressée aux plantes et aux herbes. Si on avait un mal de tête ou une maladie, elle nous soignait avec des remèdes naturels, comme avec de la cannelle ou du curcuma. Elle nous préparait toutes sortes de crèmes ou de tisanes pour avoir une belle peau, pour bien dormir, ce genre de choses. Comme chez ma grand-mère, on ne mangeait à la maison que des produits frais. Nous n’habitions pas très loin du grand bazar « Tajrish », dans un quartier animé de Téhéran. Je dois encore ajouter la chance d’avoir eu un père pilote. Grâce à lui, nous avons pu voyager et découvrir d’autres gastronomies.
Comment raconter la cuisine d’Iran ? La cuisine est une passion pour les Iraniens. Elle est au cœur de leurs préoccupations. Les Iraniens adorent être à table ! C’est encore plus important qu’ici. Le pays possède une cuisine très diversifiée, vu son étendue, et liée aux saisons. On trouve de tout en Iran, mais chaque région a ses particularités et ses spécialités. Certaines régions ne connaissent qu’une saison. Dans le désert, par exemple, la gastronomie est intéressante, mais moins variée qu’ailleurs. C’est pareil en montagne, où la cuisine est plus rustique. Le nord bénéficie d’un climat humide et tempéré. On y trouve à peu près tout ce que l’on voit ici sur les marchés. Quand tu vis à Téhéran, tu as de la chance : tu es au cœur du pays, tu as accès à toutes ces cuisines. On y trouve de tout, sauf du poisson frais, si ce n’est les jours de fêtes. Il y a toujours du riz. Le riz perse est un incontournable de notre gastronomie.
Du riz perse ou du riz iranien ? La confusion est fréquente. La Perse a été autrefois un empire puissant, dont l’influence englobait l’Iran actuel. Notre culture provient de là et de ses 2 500 ans d’histoires. La langue principale en Iran est le parsi.
Aller au restaurant était habituel dans la famille ? Quand nous voyagions à l’étranger avec mon père, nous allions au restaurant. En Iran, on mangeait à la maison. Le week-end, soit le jeudi ou le vendredi en Iran, ma mère nous emmenait souvent en randonnée en montagnes. On marchait jusqu’à ces villages retirés, où l’on mangeait parfois chez l’habitant ou dans de petits cafés. En montagnes, il y a une grande tradition autour de la préparation du pain. D’un village à l’autre, la préparation peut être différente.
Quelle adolescence as-tu vécue ? Les périodes difficiles que le pays a traversées, suite à la guerre et au boycott, ont forcé les gens à se débrouiller. On trouve tout ce que l’on veut si on cherche. J’ai eu la chance de grandir dans les années 1990, une période plus faste. L’Iran a connu quinze belles années. Ce fut une période remarquable, confirmée par la reconnaissance internationale de cinéastes comme Abbas Kiarostami, Jafar Panahi ou Asghar Farhadi. On a découvert des produits qui ne faisaient pas partie des habitudes, comme le café ou le chocolat, et des fruits, comme l’ananas. Vers la fin des années 2000, la situation est devenue plus difficile, suite aux tensions liées au programme nucléaire. L’accord de 2015 avec les USA a entraîné de nouveaux espoirs. En six mois, les changements étaient incroyables. Les restaurants ouvraient, les cafés, les hôtels… Tout s’est arrêté depuis quelques mois.
L’image de l’Iran ? Les Occidentaux ont une image déformée de l’Iran. C’est une République islamique, mais la vie n’y est pas aussi sévère qu’on le pense ici... J’ai eu une très belle enfance. J’ai pu voyager, j’ai pu faire plein de choses avec ma mère et ma sœur. J’ai fréquenté l’université, comme de nombreuses filles de ma génération et de la génération précédente. Les femmes sont très actives derrière le tchador. Il y a énormément d’éditrices, de cinéastes et d’auteures. Les femmes conduisent, créent leur affaire, elles ont des emplois, elles divorcent, elles sont libres... L’entreprenariat est accepté : avec ma sœur et deux amies, alors que nous étions étudiantes, nous avions créé notre propre commerce de vente en ligne d’accessoires et de bijoux « Barg Accessories ».
Tu as étudié à Téhéran ? Je suis partie quelque temps à l’université de Qazvin, où j’avais été acceptée. Je pensais étudier l’architecture mais, après quelques mois, je me suis orientée vers le management industriel à Téhéran. J’ai suivi cette formation tout en développant la vente en ligne de mes bijoux. À la fin de mes études, j’ai rejoint Bruxelles pour retrouver celui qui est devenu mon mari en 2013.
C’est en arrivant en Belgique que tu crées ton blog ? C’est venu plus tard… Les premiers mois, je ne connaissais personne, à part mon mari et sa famille. Je pensais trouver du travail, mais c’était compliqué, voire impossible, car je ne parlais qu’anglais. J’ai commencé à suivre des cours de français et d’orfèvrerie. J’ai ensuite eu la chance d’intégrer le cabinet de la ministre Céline Fremault, où j’ai poursuivi mon apprentissage du français tout en intégrant la cellule « Communication ». Après un an, je suis entrée à Solvay pour poursuivre mes études. Dès que j’avais un creux ou une heure de fourche, j’allais dans les cafés ou les restaurants du quartier pour prendre des photos, que je postais sur les réseaux sociaux. C’était un hobby, mais j’ai eu rapidement des retours. J’ai alors contacté des restaurateurs afin de développer leur présence sur les réseaux. En échange d’un repas, je mettais leurs plats en ligne. J’ai commencé par de petites adresses. Après quelques mois, j’étais invitée dans des restaurants étoilés, d’abord en Belgique, puis à l’étranger. J’ai alors créé un blog où je racontais mes découvertes. J’ai ensuite développé le contenu en intégrant des recettes. Comme je suivais une formation en marketing, j’ai commencé à travailler pour plusieurs restaurants en développant leur présence sur les réseaux sociaux. J’appliquais ce que j’apprenais à l’école.
Rien à voir avec la cuisine iranienne ? Non, cela est venu encore plus tard. Fin 2018, j’ai commencé à travailler sur mon mémoire de fin d’études. Je pensais m’inspirer de ce que je faisais au jour le jour en restauration. Mon superviseur, Sandra Rothenberger, professeure en Marketing, stratégie et innovation, m’a dit que je faisais fausse route. Elle m’a conseillé de m’intéresser à mon passé et à ma culture. La cuisine orientale était alors en plein boom avec les livres d’Ottolenghi. J’ai entamé des recherches sur la cuisine traditionnelle d’Iran, tout en faisant ce mémoire. J’ai commencé à publier sur mon blog ce que je découvrais. J’ai réfléchi ensuite à lancer des initiatives touchant aux questions actuelles relatives à l’alimentation, notamment la durabilité, le bio, le bien-être, tout en intégrant certains aspects de ma culture. Plusieurs projets sont actuellement en voie de finalisation. J’ai alors orienté le blog vers la cuisine iranienne, mais avec les yeux d’une jeune femme vivant à Bruxelles.