Chez Léon en deuil
Triste nouvelle, la presse a annoncé ce matin le décès de Rudy Vanlancker. Sa mort suit de quelques mois celle de son frère Paul. Si ce dernier à longtemps été en cuisine, c’est Rudy qui a fait de Chez Léon une enseigne reconnue tant en Belgique qu’à l’international. Après avoir négocié la reprise des Armes de Bruxelles, Monsieur Rudy comme on l’appelait dans le restaurant, avait passé le relais à son fils Kevin qu’il avait formé. La pandémie l’avait obligé à reprendre certaines choses en mains. Il s’est longtemps battu pour rendre à l’Îlot sacré sa réputation festive et gourmande. Il était sur le sujet plutôt positif quant à l’évolution des choses. Voici quelques extraits tirés du livre que nous avions rédigé ensemble à l’occasion du 125e anniversaire de sa maison, en hommage et en souvenir. Photos Cici Olsson
Né en 1955, Rudy Vanlancker a grandi Chez Léon, rue des Bouchers, faisant dès l’âge de 7 ou 8 ans la tournée des fournisseurs avec son père. À 14 ans, il entre à l’École hôtelière de Namur. Après son service militaire, évidemment passé en cuisine, il rejoint la maison familiale et se retrouve dans des cuisines dirigées par son frère Paul.
Après le décès de son père, en septembre 1980, et le départ de son frère, il commence à s’intéresser à la gestion de l’affaire. En 1984, il vit l’expérience traumatisante d’une descente menée par l’inspection générale des impôts dans plusieurs restaurants de l’Îlot Sacré. Le Ministère des finances lui réclame 581.000.000 de F.B de l’époque pour redressement. Rudy Vanlancker sauve l’affaire en négociant avec Marc Eyskens, alors Ministre des Finances, un montant ramené à un forfait de 50 millions de F.B. Après ce premier fait d’armes, il prend revient à l’A.D.N. voulu par son père : une gastronomie bruxelloise simple et populaire. Il remet le stoemp-saucisse et le poulet-compote à la carte. Il casse les prix de 15 %. Il décide d’ouvrir toute la journée, tous les jours de la semaine. Monsieur Rudy préfère avoir 1 000 clients à 10 € que 100 clients à 100 € ! Cette vision de la cuisine est un second geste fort.
L’affaire prend de l’ampleur dès les années 90. Il intègre et achète les immeubles voisins de la maison historique, doublant l’espace du restaurant dans un quartier perdant pourtant peu à peu de son attractivité. Pour faire face à la perte de ses clients historiques, il est le premier restaurateur à s’intéresser aux touristes étrangers et à la clientèle extra européenne. Il engage un directeur commercial qu’il envoie partout sur la planète, construisant des relations avec plus de 2 000 agences de voyage de par le monde. Depuis cette époque, des milliers de touristes japonais, chinois et russes qui découvrent la Belgique s’attablent Chez Léon après avoir vu le Manneken pis et la Grand Place de Bruxelles.
Il réfléchit alors à la possibilité de dupliquer l’adresse au niveau national et international. Il est convaincu que l’on peut construire quelque chose autour du « moule frites ». Il teste son modèle sur Bruparck en 1988. La formule accroche. Les propositions suivent. Des franchises ouvrent dans la plupart des grandes villes de Belgique. Il cherche alors à développer le concept sur la France, sous le nom de Léon de Bruxelles. Quelques mois plus tard, des investisseurs s’associent pour développer l’affaire sur Paris, puis en Île de France, puis dans la France entière. En 1998, ces investisseurs lui proposent une entrée en bourse pour lever des fonds afin de donner à l’enseigne un développement international. Ils lui demandent d’intégrer les bâtiments de la rue des Bouchers, avec la marque, les murs et le fonds de commerce dans l’affaire. Rudy Vanlancker refuse et cède l’affaire sur la France, tout en gardant des droits d’auteurs dans l’éventualité d’un développement international.
Á partir du début des années 2000, il se recentre sur Bruxelles, fermant la plupart des franchisés belges, entamant une rénovation complète des bâtiments de la rue des Bouchers. Chez Léon réunit aujourd’hui neuf anciennes maisons du quartier. En quelques années, le chiffre d’affaires a doublé. Avant la pandémie, l’entreprise employait 100 membres de personnel à temps plein. Elle faisait régulièrement 1 000 couverts la journée. Il s’agissait du restaurant le plus fréquenté du pays. Vu l’ouverture sur l’international, l’enseigne a souffert des conséquences du lockdown en 2015. Cela n’a pas empêché l’homme d’affaires de continuer à croire dans sa maison, décidant de lui consacrer un livre que nous avons édité et écrit, publié à l’occasion des 125 ans de Chez Léon. Son dernier fait d’armes est la reprise des Armes de Bruxelles en 2018, une maison à laquelle il était particulièrement attaché. La pandémie lui a coûté très cher. En novembre dernier, dans une interview à la DH, il avançait que le Covid lui avait coûté 20 ans d’économies, mais semblait pourtant dans ses propos confiant dans l’avenir de son enseigne et de la rue de Bouchers. Celles-ci devront s’habituer à vivre sans lui.