CHEVALINE
D’ici quelques jours, notre ouvrage Chevaline sera en librairies. Á notre connaissance, il s’agit d’un des rares projets éditoriaux traitant de l’hippophagie. Le projet est né d’une réflexion suscitée suite aux réactions entendues par un plat mis au point par Christophe Hardiquest (alors Bon Bon). Travaillant à l’époque sur l’héritage culinaire bruxellois, Christophe proposait un tartare de cheval dans son menu. Pourtant lié à la culture gastronomique populaire belge, le plat suscita à l’époque énormément de réactions en sens divers. La couverture, création de Quentin Lamouroux! L'ouvrage peut être commandé sur le site à partir de ce jeudi.
Ces réactions sont à l’origine de ma curiosité pour cette viande que je ne connaissais guère, ayant grandi dans une région et une famille où l’on ne mangeait pas de cheval, sauf en de rares occasions. J’ai découvert au long de mes recherches un monde aussi fascinant que méconnu, lié à l’Histoire de la Belgique. J’ai rapidement rencontré Geert Vermeire, fournisseur de Christophe, artisan boucher, dernier chevalin de Bruxelles, fil conducteur du projet, puis Thomas Daneau, chevalin à Binche (5e génération) et François Abbruzzeze, chevalin à Frameries. Ces trois artisans font partie des derniers chevalins de Belgique dont on fait le portrait dans le livre (avec quelques recettes de boucherir) ainsi que le portrait d’anciens chevalins, des bouchers aujourd’hui retraités mais actifs pendant l’âge d’or de la boucherie chevaline, entre 1950 et 1990. Image / Théodore Géricault, Course de chevaux, dit Le Derby de 1821 à Epsom, 1821, musée du Louvre.
Les chevalins ont longtemps été un monde à part. Le livre aborde la consommation de cette viande à travers les siècles, écartée des habitudes en Occident dès l’Antiquité, mise sous le marché bien souvent sous le manteau, remise à l’honneur à partir du milieu du 19e siècle afin de permettre aux classes laborieuses de pouvoir se payer de la viande. On précise ainsi pourquoi la consommation de cette viande que l’on surnommait la « viande du pauvre » est associée aux classes ouvrières et aux quartiers populaires des grandes villes.
On raconte aussi pourquoi la Belgique est devenue le pays de référence pour sa consommation, avec le nord de la France et l’Italie. Après la seconde guerre, quelques familles de marchands de bestiaux se sont spécialisées dans le commerce de chevaux de boucheries (des chevaux de réforme, âgés de plus de 12 ans), pour devenir des références mondiales. Elles le sont toujours. Chez nous, on mange de moins en moins de cette viande pourtant considérée comme la plus saine et la plus intéressante d’un point de vue diététique. Elle est aussi la moins chère et pourrait revenir, avec la crise qui s’affirme, sur le devant des étals. Sa consommation se développe dans certains pays, notamment au Japon où elle est considérée comme un produit de luxe.
Le livre fait évidemment la part belle aux restaurants et brasseries où l’on mange du cheval. Des recettes classiques sont proposées. Quelques pages présentent l’incroyable restaurant De Kuyper, aussi vieux que la Belgique, à Vilvorde, une découverte. Une vingtaine de chefs reconnus ont participé au projet. Bien que ceux-ci ne servent habituellement pas de viande de cheval chez eux, ils ont mis au point une recette sortant des sentiers battus pour notre projet. Christophe Hardiquest est de la partie (côte à l’os en croûte de sel), mais aussi des chefs comme Thomas Algoet des Petits bouchons (Tartare de cheval et coques), Dirk Myny (Onglet de cheval et bulot), Davy Schellemans de Veranda (filet d’Anvers, pastèque et tomates) ou nos amis italiens Alessandro et Maria Concetta du Miranda (onglet de cheval au vin cuit de figue) et Gianni Caruso (braciole, orechiette et coulis de tomates).
Extrait 1. Les premières lignes
Le cheval a été domestiqué il y a environ 5 500 ans, bien après le bœuf ou le cochon. Il n’a que rarement fait partie du régime alimentaire des sociétés occidentales. Tout au long de l’histoire, le cheval a vu son statut évoluer entre le fait d’être un outil au service de l’Homme et celui d’être son meilleur compagnon. La relation entre le cheval et l’être humain a entraîné une importante révolution pour ce dernier, modifiant sa façon de travailler, de communiquer et de faire la guerre. Autorisée depuis le milieu du XIXe siècle, l’hippophagie (pratique alimentaire qui consiste à manger de la viande de cheval) a permis aux classes populaires et ouvrières d’avoir accès à une viande de qualité. L’âge d’or de l’hippophagie remonte aux Trente Glorieuses, même si des freins à la consommation de la viande de cheval perdurent, notamment dans les campagnes. Avant d’écrire ce livre, je ne me souviens pas avoir mangé du cheval. J’ai grandi dans un village des premiers contreforts de l’Ardenne, une région où l’on ne mangeait pas de cheval, un animal trop proche, trop présent dans notre quotidien. Mes grands-parents, agriculteurs, en avaient toujours eu à la ferme… (à suivre)