Campanie Jour 2
Dans les vignes. Puis chez Pasquale, à la Masseria Frattasi
Il doit être dix heures ce matin. Pasquale nous emmène vers le massif du Taburno, entre Montesarchio et Bonea, où sont situées ses parcelles. Le flanc que l'on grimpe, explique-t-il, bénéficie à la fois des vents frais descendant des Apennins et de la brise marine venant de la mer Tyrrhénienne. L’ensemble bénéficie d’un climat doux et tempéré, idéal pour la culture de la vigne. Il neige chaque hiver sur ce terroir reconnu pour son extraordinaire patrimoine œnologique. Les parcelles de vignes que l'on découvre sont éparses, çà et là, entre cultures.
Pasquale travaille une trentaine d'hectares de vignes et dix hectares d'oliviers. Éparpillées jusqu'à 900 mètres d'altitude, ses vignes sont les plus élevées des Apennins, parmi les plus élevées d'Italie. Elles sont également anciennes. Les archives locales, conservées au Palazzo d'Avalos, attestent que la famille Clemente cultive les vignes des fermes des villages avoisinants depuis 1576. De rares parcelles à avoir échappé aux ravages du phylloxéra à la fin du XIXe siècle. «Un trésor», répète Pasquale, précisant enfin qu'il s'agit également en grande partie de cépages indigènes rares. Il cite la falanghina, le coda di volpe (la queue du renard ), le greco di tufo, en blancs, ou le piedirosso, le greco nero et l'aglianico en rouges. La propriété réunit quatorze cépages anciens.
La pente et les rochers effleurant de-ci de-là laissent imaginer à quel point le travail de ces vignes doit être pénible. Notre hôte parle de «viticulture héroïque». Entre les parcelles de vignes, on repère les châtaigniers, les abricotiers et les amandiers. Un peu partout, des oliviers centenaires. Sur les hauteurs, un alignement de ruches. «Le paradis!», reprend le vigneron, tournant son regard vers la vallée. Il demande un instant de silence. On tend l'oreille pour entendre les cloches d'un troupeau de chèvres.
On rejoint la parcelle la plus ancienne. Les vignes, ici, seraient également plus que centenaires. Elles grimpent à plus de deux mètres de hauteurs. Au-dessus de nos têtes, les sarments sont reliés les uns aux autres par des fils. Les raisins, poussant en hauteur, échappent à l'appétit des chèvres et des sangliers tandis qu'au sol, dans l'ombre créée par la verdure, poussent poireaux, tomates, courgettes… « La culture à l'ancienne », ajoute Pasquale qui poigne dans la terre, le tufo giallo, le tuf jaune, des restes d'éruption volcaniques qu’il nous tend et demande de sentir. Cette terre permet des vins d'une minéralité exceptionnelle.
(…)
À la Masseria Frattasi, le soir
Récemment transformée, l'ancienne ferme fortifiée du XVIIIe siècle fait la fierté de son propriétaire. Elle est plus ancienne que l'Italie! Le domaine associe un chai moderne à l'ancien corps de logis, où nous dînons en terrasse. La vue est splendide. De la terrasse, elle laisse le regard se perdre sur la vallée et les Fourches Caudines, qui virent les troupes romaines prendre naguère une raclée. Précisant que le poète Virgile a raconté ces paysages, le vigneron pose sur la table un saladier rempli de buffalas achetées au village, au caseficio La Perla Bianca. Un des derniers producteurs artisanaux du coin. Sur la table, également, les incroyables charcuteries de Giacommo Buonanno de l'Antica Macelleria Buonanno à Moianno, chez qui on s'est également arrêtés en fin d'après-midi. Si vous passez par là, le gars doit être dans le top 5 des meilleurs charcutiers du pays.
La Masseria produit une vingtaine de cuvées différentes, en comptant les effervescents, la grappa et un moscato. Outre les cuvées vinifiées à partir de cépages locaux, la maison propose également des cuvées à partir de cépages plus communs. Le midi, on y a déjeuné d'une pasta al sugo di melanzane e salsiccia, que Pasquale a accompagnée de la cuvée Rhyton (cabernet sauvignon). Ce soir, il hésite entre son Chardonnay 890 ou la SVG 920, en sauvignon, qu'il débouche finalement pour l’apéro. Un vin léger, agréable, marqué comme attendu par la minéralité. Le chiffre renseigne l'altitude des vignes. On goûte ensuite la cuvée Fiano, du nom du cépage, un vin où minéralité, rondeur et fruité se rencontrent. La nuit tombe.
Plutôt que parler techniquement des vins, le vigneron raconte les paysages, l'histoire et les hommes qui vivent ici. Ce sont les Grecs, explique-t-il, qui ont implanté la vigne dans la région de Naples au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Une terre extrêmement fertile nourrie par les éruptions du Vésuve. Pendant l’Antiquité romaine, les empereurs quittaient Rome pour venir vivre dans la baie de Naples. Pasquale cite Néron, Claude, Auguste ... Tibère a fini sa vie sur l'île de Capri, où le vigneron produit aussi un vin, le seul vin de l'île, un assemblage de plus de dix-huit variétés indigènes.