Avant-hier la Grappe d’or, hier la Menuiserie...
On a récemment appris que deux des restaurants les plus importants de Wallonie, la Grappe d’Or, à Torgny, et la Menuiserie, à Champagne, allaient cesser leur activité dans leur formule actuelle. Si ses fermetures ne sont pas synonyme d’arrêt d’activité pour leurs propriétaires (Clément et Monia Petitjean à la Grappe d’or, Thomas et Macha Troupin, à la Menuiserie), ces nouvelles font mal, tant l’aventure défendue par ces couples nous apparaissait exemplaire en matière de gastronomie durable. Avec l’Eveil des Sens, il y a quelques semaines, voici la troisième table étoilée que perd la Wallonie. Photo C. Olsson
La nouvelle fait mal. On avait présenté dans notre dernier ouvrage, La Wallonie à pleines dents, la Menuiserie comme la future grande table de la Province de Liège. On y avait fait en avril 2019 un repas magnifique, appréciant la démarche du chef, en cuisine, et de sa femme, aux bouteilles… Le couple proposait une cuisine franche, lisible, décomplexée, profondément ancrée dans un territoire. Le restaurant a publié ces phrases : La Menuiserie a représenté plus de sept années de travail acharné, des dizaines de milliers d’heures, des milliers de clients, plus d’une centaine de collaborateurs et un nombre incalculable de briefings/debriefings. Mais les chiffres ne sont rien en rapport aux amitiés nouées, aux rires et au stress, aux rencontres et découvertes. Cette aventure trépidante aura été un moteur fabuleux durant tout ce temps, mais un moteur énergivore. Nous arrivons à présent au bout d’un cycle, et pour que seuls les souvenirs du bonheur passé subsistent, ce signal doit être entendu. Nous n’avons jamais cédé aux compromissions dans notre cuisine et avons toujours donné toute notre âme dans notre service… Thomas et Macha concluent en affirmant que leur passion n’est pas éteinte et que ces temps de confinements ont aussi été pour ceux d’une réflexion. De nouvelles aventures suivront.
Clément Petitjean avait fait part il y a quelques temps de son intention, à lui et Monia, son épouse, non pas de fermer la Grappe d’or, mais de la déplacer. Le chef avoue être fatigué de se battre pour convaincre les gens à se déplacer jusque chez lui, à Torgny. Si la vie peut sembler agréable pour ceux qui visitent ce beau village, elle peut y être compliquée quand on s’y bat au jour le jour. Complètement rénovée, leur magnifique maison est à vendre et devrait faire le bonheur d’un chef intéressé par en faire une maison d’hôtes. Clément continue d’entretenir une passion pour la grande cuisine qu’il compte développer du côté d’Arlon ou dans un endroit plus proche d’un axe routier fréquenté. On avait fait chez lui, en juin dernier, puis en juillet, deux magnifiques repas. On avait trouvé sa cuisine plus accessible et plus lisible qu’autrefois, profondément marquée par les terroirs de Gaume et d’Ardennes dont il est un des meilleurs ambassadeurs. Nous avions avec ces deux tables deux des jeunes tables les plus politiques de Wallonie, deux tables résistantes, et en recherche. Clément comme Thomas ne sont pas des chefs défendant une éthique locale tout en fermant les yeux sur les bienfaits de l’agroalimentaire. Pas du genre à accepter un chèque pour faire une démo, comme on dit, pour des poudres et autres remèdes miracle sans âme et sans authenticité. Ces deux restaurants étaient logés dans des cadres magnifiques, mais entretenaient des modèles peut-être obsolètes chez nous. Alors que l’on court pour dénicher ces endroits perdus en Scandinavie, chez nous, ils semblent si loin… Leur décision me fait penser à celle prise il y a quelques années par Kobe Desramaults qui avouait parfois s’ennuyer au fond des Ardennes flamandes, tout en portant un projet gourmand exceptionnel. Son déménagement vers Gand avait surpris. Il y a pourtant joliment rebondi en ouvrant Chambre Séparée. Rebondir, nous surprendre, c’est ce que promettent, entre les lignes, Macha, Mounia, Thomas et Clément. A bientôt.